Alors que le projet de loi immigration sera débattu au Sénat le 6 novembre prochain, le nouveau numéro de "Variations Ethiques" diffusé sur Présence Protestante (France 2) se penche sur le sujet. Mais une loi peut-elle empêcher un meurtre ?
En septembre, après les tempêtes d’équinoxe, quand le vent a faibli, le promeneur peut ramasser sous les arbres les branches mortes au champ de l’hiver. Nettoyée par les bourrasques, la nudité des cimes rappelle alors que nous ne pouvons rien faire d’autre qu’attendre le printemps.
Pour l’observateur, la nature est, à sa façon, cruellement organisée.
Encore faut-il prendre le temps et le recul de l’observation. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ces tempêtes dans les arbres servaient à faire tomber les bois malades des hauteurs inatteignables des futaies. Avec l’hiver qui arrive, s’ouvre la saison des tailles.
Comme la nature sans états d’âme, le jardinier doit couper, émonder, enlever les bois morts qui gêneront la plante dans sa croissance ou qui risquent de la désorganiser et de faire de l’arbre une touffe buissonnante ou du cep de vigne, un pied sans fruit.
Mais, malgré tous ses efforts pour guider les branches sur l’espalier horizontal réglementaire, le jardinier sait aussi que la lutte est inégale : à la fin, ce sont toujours les bizarreries de la nature qui gagne.
À notre niveau, nous aussi, jardinier du dimanche, nous pouvons envelopper nos buissons vivaces de pares-gel, construire des serres pour nos tomates, poser des voiles d’hivernage sur nos balcons, ériger des palissades.
Un jour, nous pourrons sans doute aussi prédire les tempêtes et le gel. Mais pourrons-nous construire des murs plus haut que le vent, interdire à l’hiver de s’abattre sur les plants, bannir le froid ? Les lois humaines, comme le travail du jardinier en son clos, apportent un ordre rassurant et apaisant.
Elles font de nos vies des vergers abondants aux branches sagement ordonnées. Elles préviennent, dans les deux sens du terme, des bourrasques, du gel des hivers et des bombes. Mais elles ne les empêchent pas de tomber.
Car les lois ne servent qu’à ceux qui y adhèrent, un tant soit peu. La loi ne me protège pas de ce fameux "ensauvagement" du monde.
La loi permet de définir un espace de vie commun sécurisé uniquement pour celles et ceux qui acceptent d’en suivre les préceptes. Les autres doivent être maintenus à l’écart.
Pour celles et ceux qui ont un autre référentiel que la loi – comme, par exemple, un endoctrinement – ou qui sont poussés par des impératifs supérieurs à la loi – comme, par exemple, la survie – la mise au pas du jardinier n’entre tout simplement pas dans leur champ de perception. Ils doivent, quel que soit le prix à payer.
Et quand bien même nous pourrions les empêcher de rentrer dans nos enclos, quand bien même nous pourrions maintenir hors les murs ceux dont on estime qu’ils "rôdent » autour de nos forteresses de lois et de murs, au final, nous ne serions protégés de rien.
Car, nous savons maintenant que, même à l’intérieur de nos propres remparts, quiconque veut peut toujours contrevenir à la loi. Au moins une fois. Au moins la première fois et assassiner vingt-deux personnes à Lewiston, dans le Maine, il a quelques jours à peine, ou, autre drame autre meurtre, ses trois enfants à Vémars, hier encore.
L’adhésion à la loi est tout autre chose que la loi elle-même, d’une tout autre nature que la loi elle-même. Nous pouvons promulguer toutes les lois que nous voulons, élever autant de remparts que nous voulons, nous n’empêcherons pas les migrants de venir mourir en Méditerranée, pas plus que nous n’empêchons les milliers de baleines de s’échouer sur nos côtes.
Si, avec nos sécateurs sécuritaires, nous crevions les zodiacs, les familles en détresse trouveraient un autre chemin jusqu’à Calais. Et la raison en est simple : leurs impératifs sont supérieurs à la loi. Même si l’illusion politique est bien faite, ni les murs ni les soldats ne parviennent à arrêter les Mexicains.
De même, les frontières les plus denses n’ont pu empêcher, et n’empêcheront jamais, hélas, les massacres du 7 octobre 2023 en Israël, les bombes sur Gaza ou les meurtres à Saint-Étienne-du-Rouvray, Éragny-sur-Oise, ou l’échouage des migrants et du crack sous des tentes à bosse, Porte de la Chapelle ou à Calais.
Une loi aurait-elle pu à coup sûr empêcher le crime odieux d’Arras ? Qui oserait le dire ? Mohammed Mogouchkov est un meurtrier, c’est certain. Et la justice doit le punir, selon la loi. Mais on n’arrête pas l’hiver ni la tempête ni les bombes, ni les armes avec des murs, des barreaux, des barbelés ou des mines.
On ne fait pas grandir les arbres de nos vies à l’abri du soleil et du vent. La solution à ces maux que l’on croit venu de l’étranger, vous, qui lisez ces pages la connaissez : un jour, un Samaritain a sauvé un homme.
Christophe Zimmerlin
"Variations Ethiques - Le défi de l'immigration" diffusé dimanche est disponible ici en replay pendant un mois sur le site de France TV ou suivez Présence Protestante sur Facebook. Une émission préparée par Claire Bernole, réalisée par Emmanuel Duchemin et produite par france.tv studio.
Avec les interventions de :
- Isabelle Richard, présidente de la Fédération de l'entraide protestante
- Sylvie Guillaume, députée européenne et secrétaire nationale immigration au Parti socialiste
- René Lapôtre, maire de Sangatte (Pas-de-Calais) de 1983 à 2001
Et les témoignages de :
- Patrick, migrant ivoirien arrivé en France en 2019
- Alice Prigent, membre de l'église At Home, en région parisienne